Ce soir on mange du singe ! (feat. Effy)

Asdryadr, centre du village, début d'après midi

Aujourd'hui, et pour la première fois depuis quelques mois déjà, il fait beau. Si si, c'est vrai. Étonnant n'est-ce pas ? C'est aussi ce que tout le monde pense au village. Si on ajoute à cela l'arrivée proche de la caravane marchande, l'ambiance est plutôt heureuse à Asdryadr. Tant mieux car remonter le moral des habitants lorsqu'il neige depuis vingt jours sans discontinu, que l'on aperçoit le soleil à peine six heures par jour, et que le village est coupé de ce qu'il reste du monde par un épais manteau blanc est loin d'être un exercice agréable... En revanche, lorsque le printemps arrive, être chef de clan se résume plutôt à prendre des nouvelles presque toujours bonnes auprès des habitants. Naissances après mariages, le village se réveil et s'active comme s'il fonctionnait à l'énergie solaire.
- Mia !
Je me retournai, un de nos chasseurs, essoufflé, se tenait derrière moi :
- Oui ?
- On a repéré un groupe de Blangos sur les routes ouest qui mènent au village.
- Et alors ?
- Et alors ? Bah, c'est par là que doit arriver la caravane.
Ah oui. Merde. Je n'ai pas vraiment envie que des singes géants me volent mes futures fringues moi ! À l'idée d'un de ces monstres portants les étoffes qui cheminaient actuellement vers Asdryadr, je laissais échapper un petit rire.
- Et tu trouves ça drôle toi ? me demanda-t-il dérouté
- Non rien, laisse, je me change et je vais les prévenir, ils ont des guerriers hein tu sais, c'est pas des Blangos qui vont les manger...
- Il y a un Blangonga avec eux.
- Et bien ils auront une fusarbalète dans leurs rangs.

* * *

Maison des Nilyan, début d'après midi

Bon. Respire Mia. Tu peux le faire. Tu es une grande fille maintenant. Tu as vingt-huit ans. Ça fait presque trente. Et à cet âge là, on peut lasser son armure toute seule. Ça y est ! Attends... c'est quoi cette pièce là ?..

* * *

Aux alentour de la caravane, milieu d'après midi

Question numéro une : Mais qu'est ce qui m'a prise de couper dans la forêt au lieu de suivre le chemin ? Question numéro deux : Vais-je mourir d'une hémorragie à cause de ces ronces, ou vais-je enfin attendre la caravane ? Stop. On se calme. On ne bouge plus. Il y a du bruit. Donc quelque chose qui bouge. Donc quelque chose... de vivant. Ça se rapproche. En tout cas assez pour éliminer une source de danger, ce sont des bruits de voix, la caravanes probablement. En fait ce qui serait sympa, ce serait d'arriver à me dépêtrer de là avant de croiser les marchands, le contraire serait quand même limite discréditant.

* * *

En dehors des buissons, milieu d'après midi

Maintenant j'ai les doigts en sang. Mais au moins je suis présentable. Enfin je crois. De toutes façons il n'est plus temps de se poser des questions, les voilà qui arrivent. Je lève la main en guise de salut et le village ambulant s'arrête à quelques mètres de moi. Leur chef descend de sa monture, vient à ma rencontre et me sert dans ses bras :
- Mia, ma chère Mia, comment vas-tu ?
- Tout va bien, il fait chaud, les villageois sont impatient de vous voir !
- Heureux de te l'entendre dire ! s'exclama-t-il en riant, Que nous vaut le plaisir de ta visite si tôt ?
- Mes hommes ont vu un troupeau de Blangos et leur Blangonga dans les parages et s’inquiétait grandement pour vous, je voulais prévenir tes guerriers d'être vigilants. Je vais partir en éclaireur, si je les repère sur la route j'envoie un feu de détresse, dis-je en montrant du menton la fusarbalète dans mon dos, et tu m'enverras une troupe.
- Ça marche, je fais suivre tes instructions, à tout à l'heure alors !

Des heures à voyager. A pied ou à cheval, le voyage était assez éprouvant, mais on avait l’habitude. Je commençais à devenir plus expérimentée en tant que guerrière, même si le mot « expérimenté » est bien trop fort pour exprimer les quelques progrès que j’avais pu faire. Après tout, à chaque étape de sa vie, on en apprend toujours. Je n’étais pas au bout de mes surprises, c’était certain. Bref. On devait aujourd’hui se charger de la protection d’une caravane. C’était plutôt un travail de routine, rien de bien effrayant, si tout se passait comme prévu… Le soleil arrivait au dessus de nous, il nous avait nargués depuis quelques jours, et il revenait finalement. Bon présage ? Peut-être, seul l’avenir nous le dira. J’ai toujours été quelqu’un de pessimiste, après tout.

Les discussions entre les guerriers tournaient autour de beaucoup de choses que je n’avais pas encore dans ma vie. Les nouveaux nés, la richesse, la réussite… tout ce dont un membre de notre communauté rêve un jour ou l’autre. Tous, ou presque. Il fallait garder les yeux ouverts, tout de même, rester éveillés. C’était d’ailleurs pour ça qu’on parlait, ça nous tenait en éveil, quitte même à tenir des discussions complètement banales. La pluie, le beau temps, vous connaissez. Mais j’avais du mal à m’intéresser aux conversations de tous ces hommes, vu qu’ils étaient en majorité aujourd’hui. Ce n’était pas toujours le cas. Je regardais la caravane avancer, encore et toujours, me concentrait sur ce mouvement familier, ne pensait plus qu’à ça.

On n’entendait mal la discussion qui venait d’avoir lieu. Mais une rumeur courrait déjà parmi les guerriers, apparemment la bien connue Mia Nilyan venait d’arriver. L’occasion de la voir était assez rare, mais la saison devait être favorable. Entre son rôle de chez et de chasseuse elle occupait la plupart de son temps à défendre les siens. Vous voyez, à dix ans de plus que moi, elle incarnait déjà une certaine prestance, une force qui lui valait le respect de tous. Alors oui, se trouver en face d’elle et encore mieux aidé par elle, était plutôt impressionnant. Le chef s’avança finalement vers nous, petite troupe que nous étions, et nous donna les instructions que Mia lui avait remises. Des monstres étaient sûrement dans les parages, pas assez effrayants pour alerter tous les chasseurs, mais l’aide de la chasseuse semblait nécessaire. Le Blangonga, selon les dire d’un guerrier, était tout de même un danger. Il semblait avoir de l’expérience, et tout le monde s’est tu quand il a commencé à raconter l’histoire qu’il avait vécue.

Quand il eut fini, on commença un peu à s’inquiéter, le temps passait si vite… On ne redoutait pas ce feu de détresse, non. La peur ne faisait pas partie de notre quotidien. Mais éviter un combat était toujours une bonne chose, c’était des égratignures en moins, et du temps en plus pour sa famille. Mais tout ne se passe pas toujours comme on le voudrait. J’ai tourné mon regard en face, là où la jeune femme avait décidé de prendre les devants. Elle était partie si vite, je n’avais pas pu la voir d’où j’étais. Tout le monde ne pouvait pas partir ainsi en éclaireur, c’était parfois trop risqué. Même pour des petits monstres de la sorte. On restait à l’affut, le regard tourné vers le haut, prêts à réagir sur ordre du chef.

Sur les chemins ouest d'Asdryadr, milieu d'après midi



   Sur les chemins ouest d'Asdryaydr, un quart d'heure plus tard



    Au lieu de rendez vous, quelques minutes plus tard

La chasseuse en face de nous semblait avoir une stratégie. Je me suis placée à gauche, obtempérant suite à son ordre, épée en main. Les chasseurs étaient plus habitués que nous à ce genre de situation, ayant sans arrêt affaire à des créatures, il était logique de l’écouter, encore plus quand on savait que c’était la chef du clan. J’avais, et surtout depuis quelques temps, été plus douée pour maîtriser une épée qu’un arc. Mais on n’avait des capacités très variées dans nos rangs, c’est pourquoi on était assez bien répartis dans les deux groupes qui s’étaient formés. Je restais silencieuse, avais l’impression de faire un peu tâche au milieu de mon groupe. Les gabarits n’étaient pas tous les mêmes, mais moi, je sortais vraiment du lot. Pourtant, ça ne m’empêchait pas d’attaquer efficacement pour ma survie et celle des miens.

Des singes. Des gros singes. Je me répétais ses mots, peut-être, déjà, pour essayer de me rassurer, car leur allure n’était pas si effrayante que ça… mais aussi pour cerner leurs faiblesses. Je savais déjà que s’il y avait un Blangonga, c’était plus dangereux, et ce n’est qu’un euphémisme. Les gens du village, dans mon enfance, n’avaient beau pas remplacer le contact de parents aimants, ils savaient m’instruire avec les connaissances qu’ils avaient amassées au fil du temps. Guerriers, chasseurs… les lignées des familles était diverses, et nombreux d’entre eux voyaient de la famille s’engager au péril de leur vie. C’était comme ça. Comme ça que je me méfiais depuis bien longtemps des monstres qui rodaient, que j’avais appris à comprendre qu’il ne fallait pas le prendre à la légère. Des projections de glaces étaient si facilement arrivées avec ces créatures… une attaque un peu plus puissante que les autres, la rage montant en eux, et on était prit par surprise.

Les Blangos pouvaient surgir de n’importe où, et nous attendions prêts à écouter les conseils et ordres de Mia. Pas le temps de discuter pour le moment, ni même d’admirer les belles montagnes et tout le magnifique paysage qui était aux alentours. Non, il fallait réagir vite. Epée en main, regard attentif, je me suis placée à côté des deux guerriers en qui j’avais le plus confiance, qui m’avaient filé les bonnes astuces, me racontaient leurs histoires et s’intéressaient sincèrement aux miennes. Des frères d’arme, de bons amis, en somme. Mais je ne doutais pas que Mia était le genre de femme à qui on pouvait faire autant confiance, voire même plus. Chacun de ses mouvements seraient un signe, je restais donc attentive. Peut-être n’allait-elle rien ajouter, peut-être devrions nous nous fier à elle comme si on comprenait tout ce qu’elle avait l’intention de faire. Chaque attaque, chaque geste… Le calme plat, un calme pesant, interrompu par des cris de plus en plus insistants et proches.

Spoiler:

Je l’écoutais attentivement, écoutant ses consignes avec attention. Observer, il fallait donc faire très attention à nos arrières, surtout quand on ne tire pas de loin comme les archers. Je pensais devoir rester dans mon petit coin, près de mes collègues, et frapper aussi fort et aussi efficacement que je pouvais… mais au fond, cette position m’ennuyait. J’avais besoin de me sentir utile, vraiment utile. Je regardais donc cette jeune femme pleine d’assurance, mais sans grand espoir quand elle fixa le groupe des yeux dans l’espoir de voir quelqu’un, sûrement, de confiance. Peut-être était-ce parce que je sortais du lot, que le choix se posa sur moi. Oui, je ne voyais que ça, car quand on me voyait physiquement, on se posait des questions… pourquoi étais-je ici, parmi ces guerriers, alors que ma place aurait été sûrement plus logique dans une maison, à faire la cuisine et à m’occuper de gamins. Mais je n’aimais pas vraiment la logique, même si ça me faisait courir de gros risques.
J’ai regardé autour de moi avec un regard incertain, ai haussé un sourcil, étonnée. Non, elle s’adressait bien à moi. Je sors donc du groupe et viens à ses côtés. Je ne remettais pas en doute sa décision, j’en étais même heureuse. Elle devait le savoir, avais dû être aussi fragile en apparence que moi, un jour… à moins qu’elle ait toujours été ainsi, si… puissante. Oui, j’intriguais les gens, voire même je les amusais. Epée en main, je me suis adressée à elle, tenant compte que les minutes étaient tout de même comptées. Il valait mieux agir le plus vite possible, tant que la situation était à notre avantage. « Ravie de combattre à tes côtés ! » J'avais choisi de la tutoyer, elle semblait si avenante avec les gens, et la question ne se posait même pas... elle m'avait choisi comme coéquipière, moi. J'étais bien trop honorée pour me préoccuper de détails semblables.

Spoiler:

J’ai écouté attentivement, me rendant bien compte qu’elle devait me faire un minimum confiance. Ce n’était pas le moment d’être tête en l’air ou de s’éloigner trop. Le moindre petit imprévu et un plan pouvait tomber à l’eau, il fallait rester vigilent. Etre observatrice, tout le temps. C’était une mission plutôt facile, selon elle, mais je préférais rester sur mes gardes. Ses stratégies étaient toujours efficaces, rapides, elles semblaient les déduire aussi facilement que respirer. Peut-être par habitude. Je l’ai suivi d’un pas assuré. Même malgré mon apparence frêle, je pouvais faire preuve de courage et défendre tant bien que mal les gens m’entourant. Je regardais les environs sans cesse, cette forêt pouvait être effrayante, quand on n’avait pas l’habitude de patrouiller. La brume était si vite arrivée, elle pourrait nous mettre en difficulté. Mais ne pensons donc pas à ce genre de choses, nous avons suffisamment d’inquiétudes à gérer. Mais frôler la mort était devenu quelque chose d'habituel, de tellement commun... quelque chose de quasiment banal. Le monde dans lequel nous vivions était devenu si dangereux, il avait fallu s'y habituer.

Finalement les combats furent lancés. Les bêtes étaient tout de même impressionnantes. Il paraît qu’une fois éliminé, le reste du groupe pouvait être plus facile à vaincre, vu que le Blangonga les dirige. Et s’il lançait une attaque redoutable ? Mais je ne m’y connaissais pas plus que ça en monstres et regardait les tâches de couleurs s’effondrer un à un, plus ou moins rapidement. Encerclés, ils pliaient sous le nombre de nos hommes. Mais il en apparaissait parfois, caché derrière un autre. Je ne voyais pas grand-chose d’où j’étais et emboita le pas à Mia vers ma véritable mission. Ma fidèle épée en main, j’étais prête à intercepter des attaques ou à faire diversion si besoin était. Certes, elle allait sûrement se jeter à sa rencontre, utiliser son fusarbalète et ensuite faire un combat plus rapproché. Et moi seule aurait l’œil rivé sur elle. C’était tout de quelque chose d’important, mais je ne pensais qu’à tous mes mouvements, à rien d’autre. Je me concentrais et sentais toute l’agitation autour de moi. Chaque son était comme amplifié, je faisais attention à des choses que je n’avais pas vu auparavant. C’était important, parce que je n’avais pas grand monde pour faire attention à mes arrières, par exemple. Nous étions une petite troupe de guerriers, pas des chasseurs, mais je trouvais qu’ils se débrouillaient plutôt bien. A moi d’en faire autant. J’ai regardé Mia faire ce qu’elle avait prévu avec une pointe d’admiration. Ma voie avait été de rester à l’arrière, tout de même, en tant que guerrière, mais j’avais toujours été impressionnée par ceux qui se mettent face au danger lui-même. Esquiver, observer, je me concentrais encore et toujours. Je ne l’avais jamais vu combattre, finalement, mais je savais que je n'allais pas être déçue.